Trichet, le satanique, détruit vos euros
Cécile Chevré
MoneyWeek, 18 mai 2010
● Errare humanum est, perseverare diabolicum
"Cette fois, c'est différent". C'est ainsi que débutent les plus dangereux des bis repetita de l'Histoire.
Ce week-end, Jean-Claude Trichet a essayé de nous convaincre que les mesures de rachat de dettes souveraines par la BCE n'avaient rien à voir avec ce qui est pratiqué depuis 18 mois par la Fed ou la BoE (Bank of England), ce bon vieux quantitative easing.
Petit rappel des faits. Conséquence immédiate de la rencontre de cerveaux d'il y a 10 jours pour sauver la Grèce, la BCE a décidé de soutenir les pays surendettés en rachetant une partie de leurs obligations souveraines.
Intention qui est rapidement passée à la pratique puisque la BCE a annoncé le rachat de 16,5 milliards d'euros d'obligations souveraines que l'on suppose grecques, irlandaises et portugaises. La BCE n'a en effet voulu livrer aucune information supplémentaire sur l'origine de ces dettes. Trichet ne devrait pas s'en tenir à cela : d'autres rachats sont prévus, mais pour combien ? Mystère et boule de gomme.
L'annonce n'a pas particulièrement rassuré les marchés, et surtout pas les Allemands. Jean-Claude Trichet s'est donc lancé dans un exercice de communication digne des grandes heures de la Pravda. Qu'on se le tienne pour dit : la BCE ne fait pas de quantitative easing. Que ceux qui craignent une flambée de l'inflation se rassurent.
Raisons invoquées :
1. La BCE ne va pas produire des euros pour racheter ses obligations.
2. L'objectif de la BCE n'est pas le même que celui de la Fed. Par ses rachats, la Réserve fédérale cherche à stimuler la croissance alors que la BCE ne veut "que" soulager les pays trop endettés de la zone euro.
3. Les liquidités qui vont être injectées dans le système seront ensuite retirées. Comment ? L'enquête commence... et on se heurte très vite à une montagne de petites phrases et de formules toutes faites qui ont de quoi laisser perplexe.
Petit décryptage des magouilles de la BCE.
Lors de la Crise I, la BCE a proposé un arrangement aux banques européennes. Elles lui apportaient leurs actifs pourris et, en échange, elles recevaient du cash. Qui aurait dû leur permettre de maintenir le crédit, mais passons...
Là-dessus la Crise II est arrivée. Changement de stratégie : la BCE va récupérer une partie des obligations souveraines des pays européens. Pour nous faire gober que c'est une opération neutre, elle se lance dans un stratagème qui est ainsi décrit dans Les Echos : "La BCE a annoncé hier qu'elle allait retirer 16,5 milliards d'euros – l'équivalent du montant des obligations achetées la semaine dernière – via une opération spéciale : il s'agit de proposer aux établissements financiers d'effectuer des dépôts à terme".
Ce qui veut dire, pour résumer, que la BCE va rapatrier ses billes et demander aux banques de déposer du cash dans ses coffres. Et hop, voilà une opération "neutre" mise sur pied.
La presse anglo-saxonne est plus que sceptique sur cette explication de Trichet – et nous partageons cet avis. Dans le Financial Times, Jim Reid de la Deutsche Bank met en garde : la BCE va être très rapidement obligée de recourir au quantitative easing. Ses rachats de dettes dont plus personne ne veut masque en fait une véritable déstabilisation du marché obligataire européen.
Je ne sais pas combien de temps Jean-Claude Trichet va réussir à maintenir l'illusion qu'il ne pratique pas le quantitative easing. Sûrement pas très longtemps...
Les investisseurs ne sont en tout cas pas rassurés par ses mesures : l'euro continue de voguer vers ses plus bas de 2006. Ce qui ne veut pas dire que la monnaie unique est définitivement grillée.